C’est pour cela que personnellement je privilégie ce que j’appelle le dialogue de vie, le dialogue dans l’action. Si nous cherchons à parler de religion, nous ne serons jamais d’accord, puisque justement nous n’avons pas la même religion. Nous risquons peu à peu de nous laisser entraîner et de vouloir imposer notre point de vue à l’autre. A ce moment-là, c’est la loi du plus fort, la compétition, et même parfois la guerre. C’est en vivant et en agissant ensemble que nous pourrons mettre en place un vrai dialogue.

Je m’excuse de parler de moi-même, mais on connaît mieux ce que l’on vit soi-même. Je voudrais donner simplement quelques exemples passés et récents de ce dialogue, vécu dans la vie de chaque jour. Le responsable de Sant Egidio parlait tout à l’heure des attaques rebelles de 2001, venues du Libéria et de Sierra Léone, dans la région de Guéckedou. J’ai vécu moi-même cette époque difficile pendant 10 ans dans les camps de réfugiés, à MONGO. Si nous avons réussi à rétablir la paix dans les camps de réfugiés, malgré le mélange des ethnies, malgré toutes les frustrations, malgré les injustices que les gens vivaient, malgré tous les traumatismes qu’ils avaient subis, malgré les tortures et les mutilations qu’ils avaient dû supporter, si malgré tout, la paix a été possible dans les camps de réfugiés, c’est en particulier grâce au Comité inter-religieux que nous avions mis en place et qui se réunissait chaque semaine, chrétiens et musulmans ensemble. S’il a été possible de vivre en paix, entre Guinéens et Réfugiés, malgré leurs différences de cultures, c’est grâce aux communautés chrétiennes et musulmanes, qui ont tenu à se retrouver régulièrement, et à chercher ensemble comment bâtir la paix, malgré tout ce qui s’était passé. Car ce n’était pas facile pour des Guinéens d’accepter des réfugiés plus nombreux qu’eux-mêmes, de les accueillir et de les prendre en charge, malgré leur pauvreté. Si malgré la guerre et toute l’histoire passée, la paix a été possible, c’est bien grâce à ces communautés chrétiennes et musulmanes.

Pour prendre des exemples plus récents, je suis encore curé de KATACO. Dans le village de Maré, ce sont chrétiens et musulmans ensemble qui ont construit à la fois la mosquée et l’église du village. Dans un autre village, à Katöngörö, ce sont les responsables religieux qui, après des efforts persévérants, ont réussi à mettre la paix dans plusieurs familles qui étaient divisées. Ce sont aussi les responsables religieux et la prière qui nous ont permis de régler les problèmes de terrains qui opposaient les deux villages de Kawas et de Bogonia et qui ont permis que ces deux villages vivent à nouveau en paix. Lorsque l’Imam de Kataco est décédé, j’ai bien sûr participé à la veillée mortuaire et à tout l’enterrement. De même, tous les musulmans du village étaient là et priaient avec nous, ils nous ont soutenus, aidés et réconfortés lorsque le Frère Joseph a été assassiné.

Je viens de passer deux semaines à BAMAKO. Au cours de notre rencontre, nous avons réfléchi en particulier aux souffrances des enfants de la rue et aux problèmes de l’environnement. C’est ensemble, chrétiens et musulmans, que nous avons réfléchi à ces questions. Samedi dernier, dans ce temps de Ramadan, nous avons vécu une journée de réflexion et de prière communes, à la lumière de la Parole de Dieu entre une soixantaine d’agents de santé chrétiens et musulmans, réunis dans une foi commune en Dieu et dans la paix. Chacun d’entre vous pourrait certainement donner de tels témoignages. Ces quelques exemples suffisent comme illustrations du dialogue que nous cherchons à construire. Ils nous montrent que le dialogue est possible. Mais qu’il se construit dans l’action et dans la vie de tous les jours, pas seulement dans les paroles. Et il faut sans cesse nous redire que ce dialogue de vie n’est pas naturel. Et donc qu’ il demande un effort continu, un effort de foi, un effort de conversion, un effort de prière, de la part de chacun et de tous.

J’ai déjà dépassé le temps qui m’a été accordé. Je ne dirai donc qu’un mot rapide sur les deux autres thèmes de cette rencontre.

Par rapport à la culture : Mgr Vincent COULIBALY nous a déjà présenté les différents aspects positifs des cultures guinéennes. Je n’y reviendrai pas. Je noterai simplement que nous avons une chance en Guinée, c’est que nous avons les mêmes cultures. Et que ces cultures communes sont une base solide, sur lesquelles nous pouvons construire un vrai dialogue et une vraie paix. En effet, dans les mêmes familles, il y a des membres qui sont chrétiens, d’autres qui sont musulmans ; c’est une chance très grande, pour mettre un esprit de famille véritable entre les différentes religions de notre pays.

Par rapport à l’humanisme, juste un mot rapide : ce n’est pas seulement une question de philosophie. Il s’agit d’être un homme ou une femme sur qui on peut compter. Un homme et une femme qui se respecte soi-même, qui vit à plein les valeurs de sa culture, pour grandir en humanité. C’est pour cela qu’il serait important, non pas de garder les rites traditionnels de l’initiation, mais de garder les valeurs de l’initiation que les anciens nous ont enseignées. On n’est pas homme tout seul ; l’humanisme , c’est savoir s’enrichir auprès des autres, accueillir les valeurs des autres. Et d’abord vivre en vérité avec les autres et pratiquer l’hospitalité. Rien de ce qui est humain ne m’est étranger. Dans un humanisme vécu réellement, nous retrouvons bien sûr notre foi et le dialogue entre les religions, puisque l’homme a été créé par Dieu et qu’il est enfant de Dieu, ou, comme dit l’islam, lieu-tenant de Dieu sur la terre et reflet de Dieu.

Enfin l’humanisme, pour moi, c’est faire confiance à l’homme, confiance dans ses possibilités et confiance dans sa créativité. Et donc respecter sa liberté. Ne pas l’écraser par des commandements ou un style de vie imposés. Comme le disait Jésus : « le sabbat est fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat ». Il est nécessaire de respecter la laïcité ; c’est une valeur de notre pays ; c’est la base d’un vrai humanisme ; c’est ce qui nous permet de marcher et de vivre ensemble en paix dans notre société. Et cette laïcité nous avons à la vivre également dans notre propre religion, pour marcher selon l’esprit de liberté et de créativité du Seigneur

Je n’ai pu évoquer ces différents aspects que rapidement. Ils seraient à approfondir. Non pas en allongeant la conférence, mais en réfléchissant ensemble, en partageant nos idées, en creusant ensemble, dans une écoute mutuelle, ces thèmes et ce que Dieu veut nous dire à partir des uns et des autres. Car Dieu me parle aussi par la voix de mon frère.

En conclusion, juste un souhait : il y a de nombreuses conférences qui sont organisées chaque semaine. Mais souvent nous nous contentons d’écouter des gens qui ont bien parlé, sans qu’il y ait un véritable changement dans notre vie. Mon souhait, c’est que cette rencontre ne soit pas une conférence mais un véritable engagement, pour nous tous et pour motiver nos frères, pour construire une vraie paix en Guinée. Que la Paix de Dieu qui dépasse toutes les autres paix soit avec nous chaque jour. Avec nous et par nous.