Messe de la nuit de Noël 2010 (Cathédrale Ste. Marie de Conakry)

Bien Chers Frères et Sœurs,

Après la proclamation des résultats de l’élection présidentielle 2010 et l’investiture du nouveau président de la République, nous sommes en droit de penser que la nuit profonde qui enveloppait toute la Guinée vient de céder la place à une grande lumière. Nous sommes en droit de penser que notre marche à tâtons, qui a duré plus de cinquante ans, vient de prendre fin. Nous sommes en droit de penser que la lumière qui nous enveloppe désormais, nous permettra de mieux savourer les fruits de la paix, de la prospérité, de la justice, de l’unité et de la fraternité.

C’est Dieu qui a permis tout cela. En lui disant notre immense merci aujourd’hui, nous lui demandons encore sa grâce pour qu’il continue de nous soutenir. Car « Si Dieu ne bâtit la maison, en vain travaillent les maçons » (Ps 126,1).

1) Sachons mes frères et soeurs que cette lumière que nous voyons peut être considérée comme le signe d’une lumière infiniment plus grande. Il s’agit de la lumière de Noël, qui a resplendi d’abord à Bethléem, quand l’ange du Seigneur s’est adressé aux bergers en leur disant : « Ne craignez pas, car voici que je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : aujourd’hui vous est né un Sauveur, dans la ville de David. Il est le Messie, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né, emmailloté et couché dans une mangeoire » (Evangile de la nuit de Noël).

Cette nouvelle extraordinaire avait été annoncée, longtemps avant son accomplissement, par le prophète Isaïe, comme le témoigne la 1ère lecture que nous venons d’entendre : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre, une lumière a resplendi… Un enfant nous est né, un fils nous a été donné, l’insigne du pouvoir est sur son épaule ; on proclame son nom : Merveilleux – Conseiller, Dieu- Fort, Père –à- jamais, Prince-de-la Paix. »

Par cet enfant, accueilli dans un abri de fortune, c’est Dieu qui vient nous sauver. Dieu qui vient sauver tout son peuple de Guinée, tous ensemble. Dieu qui vient sauver tous les hommes et toutes les femmes. Dieu qui vient sauver le monde.

2) Mais quel est cet enfant qui vient de naître à Noël ? C’est un enfant déplacé et qui sera persécuté par Hérode, un enfant pauvre et rejeté. Il naît à Bethléem, dans une grotte pour animaux. Un enfant adoré par des pauvres, des gens simples, des bergers. Par lui, l’extraordinaire prodige s’accomplit : Dieu entre dans notre histoire humaine. Dieu descend chez nous pour nous élever jusqu’à lui. Dieu se fait homme pour que les hommes deviennent ses fils. Dieu devient notre compagnon de route et se fait appeler Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous, ou encore, Jésus, c’est-à-dire Dieu Sauve.

3)- En naissant pauvre, Jésus nous invite à regarder le monde, notre pays, nos communautés, nos familles. Il nous invite à partager les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes et des femmes de notre temps.

a)- Il nous invite à être plus attentifs aux pauvres, ces innocentes victimes de la lutte des grands de ce monde.

b)- Il nous invite à lutter pour défendre les pauvres contre ceux qui les écrasent et les empêchent de connaître des jours heureux et paisibles.

c)- Il nous appelle à travailler et à construire une société où tous pourront vivre d’une manière humaine.

d)- Il nous invite à accueillir les pauvres. En ce jour, nous sommes heureux d’accueillir Jésus, l’Emmanuel, Dieu avec nous. Nous nous rappelons qu’il n’y avait pas de place pour Jésus dans la case de passage. Et nous n’oublions pas ce que Jésus disait, en parlant de ses apôtres : « Qui vous accueille, m’accueille ». Et il insistait, en parlant des enfants : « Qui accueille un enfant, c’est moi qu’il accueille ». Aujourd’hui, nous ne pouvons pas accueillir Jésus, si nous n’accueillons pas les enfants pauvres, déplacés et qui souffrent au tour de nous. Mais que veut dire accueillir ? Cela veut dire d’abord regarder les pauvres et les petits qui sont au tour de nous et que souvent nous ne voyons même pas. Il s’agit de les regarder, non pas en les méprisant et les humiliant, mais avec un regard plein d’amour. En reconnaissant en eux l’image vivante de Jésus. C’est cela leur dignité : ils sont enfants de Dieu et frères de Jésus. Alors nous pourrons les aimer avec l’amour même du Christ. Cet amour qui a poussé Jésus à se faire homme parmi nous et à partager toute notre vie, à l’exception du péché.

Accueillir Jésus aujourd’hui dans ses frères qui souffrent, c’est bien sûr les aider. Mais pour cela, il ne suffit pas de faire l’aumône. Encore une fois, ils ont surtout besoin d’accueil et d’amour. Il ne s’agit pas de faire des distributions de riz. Il s’agit de donner les moyens à tous de travailler pour avoir de quoi vivre avec sa famille, et de gagner leur vie dans la dignité. Il ne suffit pas d’aider les gens un par un, personnellement, mais de les aider tous ensemble. Le Prophète Isaïe dit que c’est le peuple tout entier qui a vu se lever une grande lumière. Et les anges annoncent une grande joie pour tout le peuple : « Paix à tous les hommes que Dieu aime ». Il faut donc nous mettre tous ensemble pour lutter contre la pauvreté. Il s’agit de construire une société où tous auront les moyens de vivre, et leur place dans la société. Pas par la magouille, le mensonge et la corruption, même pas grâce à ses relations ou à cause de son ethnie, mais en tant que personne humaine. Car c’est seulement dans la mesure où tous seront accueillis et respectés que nous pourrons vivre en paix. C’est dans la mesure où tous pourront parler que nous trouverons ensemble la route à suivre. C’est dans la mesure où chacun aura sa place et pourra prendre ses responsabilités que nous pourrons ensemble construire le pays.

Pour nous, chrétiens, cela nous appelle à nous engager dans la société, pas seulement dans l’Eglise. Ainsi nous accueillons la lumière de Jésus pour être lumière du monde, de tous nos frères et sœurs. Jésus s’est fait proche de tous les hommes et de toutes les femmes à Noël. Il nous appelle à nous engager avec tous, sans rejeter personne, et à travailler avec tous les hommes et toutes les femmes.

4)- Le Travail constitue le préalable incontournable pour accomplir une telle mission. Ce qui devrait nous amener à faire de cette fête de Noël, la fête du travail. Nous avons besoin d’une telle fête, car la famine et la pauvreté sévissent encore dans notre pays et dans plusieurs pays d’Afrique et du monde. Il suffit d’écouter ou de lire les nouvelles que nous donne chaque jour la presse pour s’en convaincre. Parlant de pauvreté, à la messe de Noël 2009, je disais ceci :

« Actuellement dans le pays, on ne parle que de politique, ou de ceux qui ont le pouvoir, ou encore de ceux qui veulent prendre le pouvoir. Bien sûr cela est important. Mais notre vrai problème, c’est celui de la pauvreté. Il y a de plus en plus de pauvres parmi nous. Trop de gens qui ont faim. Trop de parents qui ne peuvent pas nourrir leurs enfants, trop de jeunes qui ne trouvent pas de travail. Et pendant ce temps, d’autres s’enrichissent par la corruption ou la drogue….

« Face à cette pauvreté, j’invite les gestionnaires des affaires publiques ou les autorités compétentes, à travailler davantage pour sauver nos familles. Beaucoup de familles sont incapables de payer aujourd’hui les denrées de premières nécessités, si bien que la malnutrition caractérise désormais le peuple guinéen. On ne perçoit pas qu’il y a dans le pays une politique de fixation et de contrôle des prix. Nous devons tous travailler pour aider les pauvres. Nous devons élaborer et exécuter des plans de lutte contre la pauvreté, et des plans pour l’emploi des jeunes. Nous devons aussi favoriser une vraie éducation pour la population. Telles sont les dispositions urgentes à prendre pour éviter que les gens soient achetés ou manipulés pendant les élections. » C’est la même invitation que je lance encore aujourd’hui aux nouvelles autorités de notre pays, notamment au Président de la République, le Professeur Alpha CONDE.

La Célébration de Noël nous invite concrètement à nous mettre au travail pour élever le niveau de la productivité agricole, commerciales, industrielle, intellectuelle, sportive et administrative de notre pays. Elle nous invite à travailler pour le bien-être de tout homme, dans l’amour sans limite et sans condition.

En naissant aujourd’hui parmi nous, Jésus est devenu notre frère. Il nous attend pour nous accompagner dans les combats visant la promotion de tous les hommes. Il nous présente chaque homme comme notre frère, sans distinction de religion, de race, de sexe ou de parti politique. Il est le Merveilleux Conseiller et le Prince de la Paix pour le monde.

C’est pourquoi le Concile Vatican II affirme : « Les joies est les espoirs, les tristesses et les peurs des hommes de ce temps, surtout ceux des pauvres et des gens qui souffrent, ce sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les peurs des disciples du Christ. Car tout ce qui touche l’homme résonne dans leur cœur. »

En cette nuit de Noël, convertissons-nous, mes frères et sœurs, et naissons ensemble à l’amour de Dieu pour tous les hommes et toutes les femmes de notre pays et du monde. Sortons de nous-mêmes pour dépasser nos limites et rencontrer nos frères et nos sœurs dans la vérité.

Soyons convaincus que sans le Seigneur, notre vie tombe en ruine. « Si le Seigneur ne veille pas sur la ville, c’est en vain que les veilleurs montent la garde » (Ps 126,1).

Nous prions donc le Seigneur aujourd’hui pour qu’il nous donne la grâce d’accueillir Jésus, son Fils, et notre Sauveur, dans nos cœurs, au cœur de nos familles humaines et chrétiennes. Nous le prions aussi pour qu’il donne à tous les hommes et à toutes les femmes de devenir aujourd’hui des artisans de paix et de fraternité dans le monde.

Eveille en nos cœurs, Seigneur Jésus, le désir des biens que tu apportes. Fais briller ta lumière toujours nouvelle sur nos vies encombrées d’injustices, de lâchetés et de méchancetés. Garde nous dans ta paix, aujourd’hui et pour les siècles des siècles. Amen !